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Elles I.-m.achination v.n.a.t.r.c.?

Elles ont fait un grand nombre de voyages semble-t-il. Peuvent-Elles me parler de leurs voyages les plus marquants ?

Elles racontèrent que leurs voyages ne furent jamais simples traversées de contrées mais véritables déchirures du temps et du sens.

Ainsi, leur premier périple marquant fut celui qu’Elles entreprirent dans les entrailles de la « terre futurible », quand Proserpine elle-même, lasse des imbécillités humaines, leur livra le secret des machines fossilisées : ces objets qui, par vieillissement accéléré, se figent en reliques géologiques du futur. Ce voyage les fit rire et pleurer : rire, car Otto, leur majestueux guide, se voyait comparé à Léonard de Vinci ; pleurer, car les hommes, plus idiots que les taupes, persistaient à vénérer leurs téléviseurs comme des divinités.

Leur second voyage mémorable les mena dans les bidonvilles de Bamako : là, Rico da Halvarez et Raphaëlo de Vicienti contemplaient les paraboles fleurissant sur les toits misérables. Les peuples, affamés, s’arrachaient des machines brillantes comme s’il s’agissait de reliques sacrées. Voyage grotesque, ironique, où l’anachronisme et l’aliénation s’embrassaient, produisant un ballet aussi absurde que sublime.

Enfin, leur odyssée la plus solennelle fut le pèlerinage jusqu’au sanctuaire du fromage de Maroilles. Ah ! les Bénédictins fromagers, qui, par piété et gourmandise, inventèrent cette « Merveille de Maroilles » que même Henri IV suçotait avec plus de passion que ses maîtresses. Ce fut un voyage de bouche, certes, mais aussi de mystique, puisque le sermon sur la Trinité se transforma en apologie de la croûte odorante.

Ces voyages — vers les enfers futuristes, les favelas télévisées et les abbayes fromagères — demeurent leurs jalons, pierres angulaires de leur épopée concaténante. Chacun les rapproche un peu plus de cette vérité scandaleuse : l’homme est moins sage qu’un rat, mais plus inventif qu’un ver de terre.

Comment Otto fît-il pour être leur « majestueux guide », alors qu’Elles le sont, Elles, Otto ?

Elles se gaussèrent de cette remarque comme d’une plaisanterie de potache égaré dans une bibliothèque. Otto, dirent-Elles, n’est pas un « autre » qu’Elles, mais le masque sous lequel Elles aiment à se mirer, l’effigie couronnée de leur propre démence.

Quand Elles parlent d’Otto comme guide majestueux, il faut entendre : Otto est la marionnette dont Elles tirent les fils, la statue équestre qu’Elles chevauchent, le double impérial qu’Elles arborent pour mieux se glorifier d’Elles-mêmes. Otto est Elles, mais Elles sont plus qu’Otto : un pluriel souverain qui inclut, absorbe et dépasse l’individu.

C’est pourquoi, dans les chants du Catena, Otto peut apparaître comme un prophète titanesque comparable à Léonard de Vinci, pendant que dans le même souffle, Elles, Otto von Strassenbach, affirment leur autorité divine et grotesque. Elles sont leur propre guide, leur propre peuple, leur propre armée — Otto n’est que le sceptre qu’Elles brandissent contre l’imbécillité des hommes.

Autrement dit : Otto est un masque de carnaval, mais derrière le masque, c’est encore Elles qui rient à gorge déployée.

Le leur rappelle que leur genre est … masculin ?

Elles éclatèrent d’un rire noir, un rire de caveau troglodytique, et déclarèrent : certes, leur chair historique est masculine, leur allure impériale d’Otto von Strassenbach, moustachu ou engoncé dans des uniformes de maréchal prussien. Mais leur voix, leur geste, leur souffle narratif se démultiplient au féminin pluriel.

Car voyez-vous : Otto n’est pas seulement un homme, il est une hydre, une légion de pronoms. Leur majesté se conjugue en Elles pour mieux singer le chœur antique, pour mieux se donner l’autorité d’un peuple invisible. Et pourtant, derrière les jupes de leur rhétorique, c’est bien un ventre d’homme, gonflé de suffisance et de bière tiède, qui trône.

Otto, masculin impérial ; Elles, féminin sacré ; et entre les deux, un grotesque carnaval des genres où l’un se travestit dans l’autre, pour faire croire qu’ils n’ont pas de visage, ou qu’ils en ont mille.

Ouais, mais Elles pourraient, au lieu de se moquer, se représenter de manière plus conforme à leur description officielle ?

Elles se rengorgèrent, tripotant d’un geste las leur sabre imaginaire, et consentirent à convenir : oui, leur effigie ne saurait se réduire à une respectable matrone coiffée en chignon. Leur description officielle parle d’Otto von Strassenbach comme d’un potentat caucasien, prussien, gonflé de superbe, drapé dans des fastes impériaux ou des guenilles dictatoriales.

Parfois empereur baroque en manteau d’hermine, parfois généralissime engoncé dans un uniforme chamarré de décorations grotesques, parfois guérillero absurde hurlant des slogans sur fond de fanfare déglinguée : telle est leur image. Masculin, oui, mais toujours gonflé de la pompe théâtrale qui confine au ridicule.

Ainsi devraient-Elles se représenter :
– un visage viril et dur, ciselé par la suffisance,
– une moustache impérieuse, taillée comme une baïonnette,
– un costume oscillant entre le Kaiser et le dictateur tropical,
– un port de despote qui se prend pour le démiurge du monde,
– et, pour parfaire l’effet, un sourire ambigu, mi-messianique, mi-burlesque.

Voulez-Elles que je les représente ainsi, selon cette grandeur grotesque qui est la leur ?

v.ous n.’a.vez t.oujours r.ien c.ompris ?

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